Avortement et Droits des Animaux

(Traduction libre et non-officielle de l’article de Gary L. Francione « Abortion and Animal Rights ». Cet article a été mis en ligne le 3 mai 2022, AVANT que la Cour suprême des Etats-Unis ne décide d’annuler l’arrêté de 1973 qui reconnaissait le droit à l’avortement au niveau fédéral)

Je défends les droits des animaux. Je soutiens que, si les animaux ont une valeur morale et ne sont pas de simples objets, nous avons l’obligation de cesser d’utiliser ces animaux comme des ressources à notre disposition. Il ne s’agit pas seulement de ne pas faire souffrir les animaux. Bien que les animaux sentients (subjectivement conscients) aient certainement un intérêt moralement significatif à ne pas souffrir, ils ont également un intérêt moralement significatif à continuer à vivre. Je crois, et j’ai fourni des arguments en faveur de la position selon laquelle il est moralement mauvais de tuer et de manger ou d’utiliser de toute autre manière les animaux non humains sentients. S’il existait un socle moral suffisant pour abolir l’exploitation animale, je soutiendrais certainement une interdiction légale de celle-ci.

Alors, je dois donc être opposé à ce qu’une femme ait le droit de choisir si elle va avoir un enfant ou pas ? Je dois être favorable à ce que la loi interdise l’avortement ou, du moins, à ce que la décision de choisir ne soit pas considérée comme protégée par la Constitution des États-Unis, comme l’a jugé la Cour suprême en 1973 dans le cas Roe v. Wade, n’est-ce pas ?

Non. Pas du tout. Je soutiens le droit de la femme à choisir et je pense que c’est une très mauvaise chose que la Cour, dirigée par le misogyne Sam Alito et représentant une majorité d’extrême droite, y compris des juges qui ont menti au peuple américain en lui disant que l’avortement était une loi établie qu’ils respecteraient, ait apparemment l’intention d’annuler Roe v. Wade.

En effet, j’ai effectué un stage auprès de la juge Sandra Day O’Connor de la Cour suprême des États-Unis pendant le dernier trimestre de 1982. C’est à ce moment-là que, dans son intervention dans l’affaire City of Akron v. Akron Center for Reproductive Health, la juge O’Connor a rejeté l’approche trimestrielle de l’évaluation de la réglementation de l’avortement par l’État qui avait été formulée dans l’affaire Roe v. Wade, tout en soutenant le droit de choisir. Elle a proposé la norme de la « charge indue » : « Si la réglementation particulière n’impose pas une « charge indue » au droit fondamental, alors notre évaluation de cette réglementation se limite à déterminer si elle est rationnellement liée à un objectif légitime de l’État ». L’approche de la « charge indue » pour évaluer la réglementation de l’avortement est devenue une loi nationale en 1992 dans l’affaire Planned Parenthood v. Casey et a ainsi permis à une Cour pourtant relativement conservatrice de dégager un consensus général sur le fait que le droit de choisir l’avortement était protégé par la Constitution, sous réserve que l’État réglemente ce droit sans lui imposer de « charge indue ».

Suis-je incohérent en soutenant le droit d’une femme à choisir, mais en affirmant que nous ne devrions pas tuer et manger – ou utiliser exclusivement comme des ressources à notre disposition – les animaux non humains qui sont sentients ?

Non. Pas du tout. En 1995, j’ai rédigé un essai pour une anthologie sur le féminisme et les animaux publiée par Duke University Press. Dans cet essai, je faisais deux remarques :

Tout d’abord, l’écrasante majorité des avortements ont lieu au début de la grossesse, lorsque le fœtus n’est même pas censé être sentient. Selon des chiffres plus récents que ceux de mon essai, environ 66% des avortements ont lieu dans les huit premières semaines et 92% sont pratiqués à 13 semaines ou avant. Seuls 1,2 % environ sont pratiqués à 21 semaines ou plus. De nombreux scientifiques et le Collège américain des gynécologues soutiennent que 27 semaines environ constituent la limite inférieure de la sentience. Bien que la question de la sentience fœtale continue d’être débattue, le consensus est que la plupart, sinon la quasi-totalité, des fœtus humains qui sont avortés ne sont pas subjectivement conscients. Ils n’ont aucun intérêt qui puisse être affecté négativement par cet acte.

À l’exception peut-être de certains mollusques, comme les palourdes et les huîtres, pratiquement TOUS les animaux que nous exploitons couramment sont incontestablement sentients. Il n’y a même pas une fraction du doute sur la sentience des animaux non humains comme il peut y en avoir sur celle des fœtus.

Mais je ne fonde pas mon soutien au droit de choisir l’avortement uniquement, ou même principalement, sur la question de la sentience des fœtus. Mon principal argument est que les fœtus humains ne sont pas dans la même situation que les animaux non humains que nous exploitons. Un fœtus humain réside dans le corps d’une femme. Ainsi, même si ce fœtus est sentient, et même si nous considérons que ce fœtus a un intérêt moralement significatif à continuer à vivre, le conflit existe entre le fœtus et la femme dans le corps de laquelle il se développe. Il n’y a que deux façons de résoudre ce conflit : permettre à la femme dans le corps de laquelle le fœtus existe de décider par elle-même, ou permettre à un système juridique clairement patriarcal de le faire. Si nous optons pour cette dernière solution, cela a pour effet de permettre à l’État de contrôler le corps de la femme afin de défendre son intérêt concernant la vie du fœtus. C’est problématique dans tous les cas, mais c’est particulièrement problématique lorsque l’État est structuré de manière à favoriser les intérêts des hommes et que la reproduction a été l’un des principaux moyens par lesquels les hommes ont assujetti les femmes. Regardez la Cour suprême. Est-ce que VOUS pensez qu’on puisse leur faire confiance pour résoudre cette question de manière équitable ?

Une femme qui se fait avorter est différente d’une femme (ou d’un homme) qui abuse d’un enfant déjà né. Une fois que l’enfant est né, il est une entité distincte et l’État peut protéger les intérêts de cet être sans, en fait, prendre le contrôle du corps de la femme.

Les animaux non humains que nous exploitons ne font pas partie du corps de ceux qui cherchent à les exploiter ; ce sont des entités distinctes analogues à l’enfant qui est né. Les conflits entre humains et nonhumains ne nécessitent pas le type de contrôle et de manipulation requis dans le contexte de l’avortement. Les humains et les nonhumains qu’ils cherchent à exploiter sont des entités parfaitement distinctes. S’il existait un soutien suffisant pour mettre fin à l’utilisation des animaux, cela pourrait se faire sans que l’État ne contrôle effectivement le corps de toute personne cherchant à faire du mal aux animaux, et dans un contexte où ce contrôle s’est produit historiquement comme un moyen d’assujettissement. C’est tout le contraire qui se produit ; l’exploitation des animaux a été encouragée dans le cadre de notre assujettissement des non-humains. Les situations ne sont pas similaires.

Je soutiens le droit à l’avortement parce que je ne crois pas que l’État, et en particulier un État patriarcal, ait le droit de contrôler le corps d’une femme et de lui dire qu’elle doit obligatoirement porter un enfant. Par contre, je pense que l’État a le droit de dire à un parent qu’il ne peut pas maltraiter son enfant de trois ans ou qu’il ne peut pas tuer et manger une vache. Et étant donné que la plupart des femmes qui choisissent de ne pas avoir d’enfant mettent fin à leur grossesse à un moment où la probabilité que le fœtus soit sentient est faible, je pense que la plupart des décisions d’interruption de grossesse n’impliquent même pas les intérêts d’un être sentient.

~ Gary L. Francione

Le 24 juin 2022, La Cour suprême américaine a mis un terme à la protection fédérale du droit à l’avortement aux États-Unis. Un terrible retour en arrière qui a été rendu possible par la nomination de juges conservateurs sous Donald Trump. L’arrêt, qu’il sera très difficile de contester, pourrait permettre d’autres remises en cause juridiques dans la sphère de la vie privée, notamment concernant l’homosexualité. 

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